Mon expérience à l'Assemblée nationale
Je me souviens encore distinctement de la première fois où j’ai assisté à une séance de l’Assemblée nationale. C’était peu après les élections législatives de juin 2017, quelques jours seulement après avoir célébré mes 16 ans. Cette séance, d’une longueur interminable, marquait l’installation des nouveaux députés, l’élection de François de Rugy au perchoir et la désignation des membres du bureau de l’Assemblée. À cette époque, je l’avoue sans peine, je ne comprenais ni le déroulement des débats ni les arcanes de la procédure parlementaire. Pourtant, loin de me décourager, cette plongée dans l’inconnu a attisé ma curiosité. Peu à peu, je me suis mise à suivre assidûment les séances, notamment les vibrantes sessions de questions au gouvernement, captivée par la vivacité des échanges et la portée des sujets abordés.
Quelques années plus tard, cet intérêt pour la chose parlementaire ne s’est jamais émoussé. Au contraire, il s’est enraciné en moi, devenant une véritable passion pour les rouages de la démocratie et les débats qui la font vivre. À l’époque, jamais je n’aurais imaginé, ne serait-ce qu’une seconde, que cette fascination me conduirait un jour à décrocher un CDI auprès d’un parlementaire à l’Assemblée nationale. Ce qui n’était au départ qu’une curiosité d’adolescente s’est transformé en un engagement concret, au cœur même de cette institution que j’avais appris à découvrir et à aimer.
À l’époque où j’étais collaborateur parlementaire, j’avais en charge la communication du député. Ma mission était limpide sur le papier : faire connaître son action auprès de ses électeurs, mettre en valeur son travail législatif et ses prises de position, tout en assurant une présence efficace sur les réseaux sociaux et dans la presse quotidienne régionale. Mon député n’était pas de ceux qui attirent naturellement les projecteurs. Loin des figures médiatiques qui captent l’attention par des déclarations tonitruantes ou une omniprésence télévisée, il préférait un travail de fond, discret mais rigoureux. Si cette approche témoignait d’une authenticité rare, elle rendait ma tâche d’autant plus complexe.
Gérer la communication d’un parlementaire peu médiatique, c’était comme tenter de faire entendre une voix calme au milieu d’une tempête. Mais j’avais une chance que bien des collaborateurs d’autres députés n’avaient pas : une carte blanche. Mon député me faisait entièrement confiance. Cette liberté, précieuse dans un milieu souvent figé par des codes stricts et des attentes préétablies, m’a permis d’expérimenter, d’innover et, surtout, de sortir des sentiers battus.
En m’appuyant sur son style personnel, j’ai repris l’initiative qu’il avait timidement esquissée sur Twitch – une plateforme qu’on associait alors davantage aux gamers qu’aux élus. Le concept était simple mais audacieux : proposer une communication moins monotone, moins engluée dans les clichés politiques, et totalement débarrassée de la langue de bois. Fini les discours préfabriqués, les visuels ternes et les éternels codes rouge, blanc, bleu qui sentaient la communication officielle d’un autre temps. Mon ambition était de créer une connexion en direct avec le public, un espace où mon député pouvait :
- S’exprimer avec franchise.
- Répondre sans détour aux questions des spectateurs.
- Révéler sa vraie personnalité, loin des postures stéréotypées.
Cette approche, c’était une petite révolution à notre échelle : réinventer la manière dont un élu pouvait dialoguer avec les citoyens, en brisant les codes d’une politique trop souvent perçue comme distante ou artificielle. Et ça fonctionnait. Les spectateurs, d’abord déconcertés par cette nouveauté, ont peu à peu accroché à cette authenticité brute, à cette spontanéité qui tranchait avec le ronron habituel des réseaux sociaux institutionnels.
Ma stratégie ne se limitait pas à cette rupture de ton. Je voulais aussi une communication véritablement inclusive, qui ne laisse personne sur le bord du chemin. Pour cela, j’ai mis un point d’honneur à exploiter des outils trop souvent négligés, mais pourtant mis à disposition par les plateformes de médias sociaux, afin de rendre chaque contenu accessible. Concrètement, cela signifiait :
- Descriptions détaillées : J’ai systématiquement ajouté des textes alternatifs aux images partagées sur Twitter ou Twitch, décrivant avec soin ce qu’on voyait à l’écran – une infographie expliquant un projet de loi, une photo d’un déplacement en circonscription, ou même un moment spontané capturé en direct – pour que les personnes malvoyantes puissent pleinement saisir le message.
- Sous-titrage et transcriptions : J’ai veillé à sous-titrer les séquences diffusées en direct et à fournir des transcriptions pour les spectateurs malentendants, en m’appuyant sur des outils intégrés ou des solutions simples mais efficaces.
Parfois, cela signifiait passer des heures à retranscrire manuellement une discussion improvisée, mais le jeu en valait la chandelle. L’objectif était clair : abattre les barrières qui excluent trop souvent une partie du public des échanges politiques, tout en prouvant que l’authenticité qu’on revendiquait n’était pas un privilège réservé à une élite connectée. Cette démarche, bien que chronophage, renforçait notre crédibilité. On ne se contentait pas de parler aux gens ; on s’assurait qu’ils puissent tous nous entendre, nous voir et nous comprendre, quelles que soient leurs circonstances ou leur accès à la technologie. C’était une manière tangible de refléter l’engagement de mon député dans une communication à la fois vivante et universellement accessible.
J’aurais adoré poursuivre cette expérience. J’avais encore tant de projets en tête : affiner cette formule, tester d’autres plateformes, approfondir cette proximité avec les spectateurs tout en explorant de nouvelles façons de rendre la politique plus ouverte et compréhensible. Mais la vie politique, par essence imprévisible, en a décidé autrement. Parfois, le président choisit de dissoudre l’Assemblée nationale, et avec elle, ton contrat de travail disparaît aussi vite qu’une séance levée en urgence. Mes balades sous les ors de la République – ces moments passés entre les couloirs feutrés, les lustres imposants et les débats enflammés – me manqueront, c’est une certitude. Pourtant, je ne regrette rien de cette aventure. Elle m’a appris qu’une voix calme, sincère et accessible peut, même dans la tempête, trouver son public et laisser une trace. Et ça, ça vaut bien plus que tous les projecteurs du monde.